« Pour améliorer la santé globale, on a besoin de s’inspirer des apprentissages des activistes communautaires qui ont lutté contre le sida. »

Fruit de deux années de travail, le livre “Rien pour nous sans nous : 40 ans de mobilisation communautaire contre le sida”, écrit par  Hélène Rossert, experte en santé communautaire et ancienne Vice-Présidente du Fonds mondial, avec la collaboration d’Estelle Tiphonnet, directrice Capitalisation de Coalition PLUS, paraît à l’occasion de la 11ème édition de la Conférence de l’AFRAVIH. Entretien avec Hélène Rossert et Amira Herdoiza.

L’influence indéniable des milieux communautaires sur la santé mondiale

Hélène Rossert propose une lecture historique de la lutte contre le VIH et de son influence sur la santé mondiale. La fameuse formule issue de la déclaration de Denver « Rien sur nous sans nous » illustre parfaitement cette volonté d’appropriation. « À l’époque, face à l’urgence sanitaire, les communautés s'impliquaient directement dans la lutte, sans médiateurs-rices, rapporte la co-autrice. Cependant, les embûches, les douleurs et les deuils ont amené une fatigue militante inévitable dans le mouvement. C’est alors que le besoin de créer des rôles intermédiaires entre les communautés et les systèmes de santé s’est fait sentir. »

Mais l’acquis le plus significatif de la lutte selon Hélène Rossert est le développement de mécanismes permettant de garder les patients-es au centre des décisions qui concernent leur propre santé, sans épuiser, ni aliéner ceux et celles-ci, en formant des experts communautaires : les pairs éducateurs et éducatrices.

La formation de pairs-es experts-tes, une bonne pratique de la lutte contre le sida

« S’il y a une pratique de la lutte contre le sida dont la santé publique devrait s’inspirer, c’est bien la formation des pairs-es éducateurs et éducatrices » affirme sans hésitation l’experte en santé communautaire. Ce qui a fait la différence, c’est l’enracinement et la valorisation de ces personnes dans les milieux communautaires. Pour preuve, elles sont capables d’atteindre des populations très éloignées des systèmes de santé classiques.

Amira Herdoiza, directrice de Kimirina en Équateur et contributrice du livre “Rien pour nous sans nous”, partage ce point de vue. Kimirina réalise au moins 25 % des dépistages au VIH dans le pays, alors que l’Équateur dispose d’un système de santé publique bien déployé sur le plan géographique avec des services de santé gratuits disponibles dans chaque village du pays. L'association se distingue en effet par son approche communautaire : « Nous avons un taux de positivité beaucoup plus élevé que les cliniques du gouvernement parce que nous ciblons bien les populations à risque et que celles-ci se sentent à l’aise de venir nous voir », explique la directrice.

Les acteurs-rices communautaires comme interface de discussion avec le pouvoir pour les premiers et premières concernés-es

Selon Hélène Rossert, les acteurs-rices communautaires ont toujours cultivé des savoirs techniques afin de pouvoir se présenter comme des interlocuteurs crédibles auprès des pouvoirs publics, tout en représentant les communautés.  Dans son livre, elle explique que la professionnalisation est indispensable et qu’il faut rendre plus technique encore notre expertise brute pour amener les décideurs-euses à la comprendre et à l’accepter. Ainsi, le dépistage communautaire a dû être expliqué aux pouvoirs publics avant d’être considéré comme une stratégie viable de lutte contre le sida.

Cet exemple est entériné par Amira Herdoiza, qui confirme que la vigilance des communautaires face au pouvoir est toujours nécessaire pour représenter les intérêts des premiers-ères concernés-es. « C’est amusant de se dire qu’il faut travailler des années pour faire reconnaître la valeur de notre travail, alors que sans nous, les systèmes gouvernementaux ne peuvent répondre intégralement aux besoins des populations concernées par le VIH », souligne-t-elle. Kimirina a travaillé pendant des années pour maintenir le dialogue avec les différents niveaux de pouvoir du ministère de la santé équatorien, locaux, régionaux et nationaux. La directrice confirme que toute cette énergie investie a porté ses fruits. Bien que les pouvoirs publics soient exigeants sur la qualité des services que les communautaires doivent offrir pour être reconnus comme acteurs et actrices légitimes de la lutte, le milieu associatif a toujours su se montrer à l’avant-garde des pratiques de prévention, de sensibilisation et de soin.

L’avenir de la santé mondiale

Sur une multitude d’enjeux, la santé globale gagnerait à s’inspirer du modèle communautaire. Mais pour faire rentrer la santé communautaire dans les systèmes de santé classiques, les acteurs-rices communautaires doivent s’imposer avec des arguments crédibles. « Le temps des témoignages est derrière nous depuis longtemps. Nous devons nourrir le dialogue avec les pouvoirs publics pour faire valoir notre expertise et notre connaissance des premiers-ères concernés-es », explique Hélène Rossert. L’héritage de la lutte contre le sida vers la santé mondiale doit être de faire comprendre à tous les niveaux de pouvoir que les besoins des communautés et les réponses adéquates à y apporter sont capitaux. Ce n’est qu’à travers ces efforts qu’elle deviendra un agent de changement démocratique dans la santé mondiale. En consolidant les savoirs et les pratiques communautaires, ce livre s’inscrit pleinement dans cette démarche militante.

Propos recueillis par Charlie Morin

Pour en savoir plus sur…

Le rôle de la lutte contre le VIH dans la santé mondiale, lisez le livre « Rien pour nous sans nous : 40 ans de mobilisation communautaire contre le sida » publié par Coalition PLUS

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