Espagne: les impacts du couvre-feu sur la santé mentale des chemsexeurs

En octobre 2021, Toujours PLUS vous partageait la réalité des programmes de soutien aux chemsexeurs à Montréal pendant le confinement québécois. Cette fois-ci, gros plan sur l’impact du confinement et des mesures de restriction sanitaire  sur la santé mentale des chemsexeurs en Espagne avec l’enquête Homosalud 2020.

Initiée et mise en œuvre par Stop Sida, avec le soutien financier du ministère de la Santé espagnol, Homosalud 2020 a pu collecter des données concernant la consommation de drogue en contexte sexuel, et en particulier la pratique du chemsex, chez les hommes gays, bisexuels, et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (GBHSH) vivant en Espagne grâce à une méthodologie mixte.  Le CEEISCAT, membre du réseau RIGHT PLUS, l’université Autonome de Barcelone et Coalition PLUS ont participé à l’étude en tant que chercheurs-es associés-es à l’exploitation des données.

Une enquête mixte pour rendre compte de la complexité des vécus individuels

Utiliser une méthodologie mixte consiste à recueillir des données quantitatives et qualitatives sur un même sujet. De cette manière, Homosalud dresse un portrait statistique du chemsex à travers toute l’Espagne, sans laisser pour compte les vécus individuels de ceux qui le pratiquent, selon Nicolas Lorente, chargé de mission Recherche à Coalition PLUS et chercheur associé au CEEISCAT qui a contribué à l’analyse des données.

Le volet quantitatif d’Homosalud 2020 (échantillon global de 2843 GBHSH), dont la promotion a été réalisée par le biais des applications de rencontre gays, était disponible en ligne fin 2020 sur l’ensemble du territoire espagnol. Quant au volet qualitatif, constitué de 12 entretiens individuels semi-directifs et de 3 focus groups, il s’est déroulé au même moment auprès d’hommes GBHSH pratiquant le chemsex dans la région de Barcelone.

Ce qui distingue Homosalud des autres études est la mixité des données recueillies. En plus de dresser un portrait global de la situation au plan national grâce aux données quantitatives, des thématiques telles que la santé mentale, l’addiction et la désocialisation ont pu être approfondies grâce aux données qualitatives.

Prévalence de la pratique du chemsex chez les GBHSH

Dans le cadre de l’étude, la pratique du chemsex est définie comme le fait de consommer des produits psychoactifs dans le but de faire durer le sexe beaucoup plus longtemps, explique Nicolas Lorente, et ce indépendamment du type de produit utilisé. Au total, près d’un répondant sur dix (267 répondants) a pratiqué le chemsex au cours de l’année précédent l’enquête.

La majorité des chemsexeurs déclarent une polyconsommation, avec en tête l’utilisation de poppers (nitrite d’amyle, 86 %), suivis du viagra et de ses dérivés (73 %), du GHB ou du GBL (73 %), de la méphédrone (66 %), et de la méthamphétamine (48 %) dans la dernière année.

Ce qui motive les hommes GBHSH à pratiquer le chemsex est principalement l'augmentation de leur libido et la recherche de plaisir. L’impact négatif du chemsex sur la santé en général se fait ressentir rapidement : les répondants déclarent souffrir davantage de maladies chroniques ou d’autres problèmes de santé de longue durée, comparés avec les GBHSH ne pratiquant pas le chemsex. Par ailleurs, la prévalence du VIH et d’autres IST est également plus élevée chez les chemsexeurs, ainsi que les rapports sexuels en échange d’argent, de biens ou de services, les plaçant ainsi dans une situation de vulnérabilité accrue.

Sur le plan de la santé mentale, les chemsexeurs déclarent davantage de dépendances aux drogues, d’addiction au sexe, d’hallucinations auditives et de pensées suicidaires. Les répondants qui pratiquent le chemsex, associent l’entrée dans cette pratique au partage, à un sentiment de connexion à travers des marathons de rencontres sexuelles. Cependant, ils déclarent que, par la suite, les produits consommés prennent le dessus : plusieurs se mettent à consommer seuls, perdent contact avec le reste de leurs cercles sociaux. Certains ont même perdu leur logement, leur travail ou les deux. Stop Sida, à Barcelone, rapporte par ailleurs être en lien avec des hommes qui vivent sur des lieux de cruising après s'être retrouvés en situation d’itinérance.

Quand les mesures de restriction et de confinement entraînent une détresse psychologique

Parmi les participants à l’étude, les hommes gays qui pratiquent le chemsex sont les plus affectés psychologiquement et économiquement par les restrictions mises en place en Espagne lors de l’hiver 2021. Tout comme à Montréal, au cours de cette période, les services d’addictologie ont migré vers des plateformes en ligne et la distribution de matériel s’est effectuée sans contact, mais non sans impact sur la fréquentation des services et l’appréciation des usagers.

Les chemsexeurs éprouvent le sentiment d’avoir trouvé une communauté de pairs avec qui partager des émotions fortes et intenses à travers le chemsex. Les restrictions sanitaires et le confinement stricte ont eu un impact négatif plus important chez les chemsexeurs, particulier sur la consommation d'alcool et la santé mentale. Les chemsexeurs ont également rapporté davantage de non-respect du confinement en raison de la solitude et de l'isolement, et un moindre recours aux tests de la COVID-19.

Homosalud montre que les chemsexeurs sont plus vulnérables que le reste des GBHSH et d'autant plus dans un contexte de restrictions sanitaires. Il est essentiel de maintenir l'accompagnement des chemsexeurs afin de limiter l'impact de l'isolement et les risques associés sur la consommation de produits et la santé mentale.

Propos recueillis par Charlie Morin

Pour en savoir plus sur Homosalud 2020

Consultez le poster présentant les résultats de la recherche à la conférence annuelle de Seisida. Vous pouvez également contacter Nicolas Lorente de Coalition PLUS à nlorente@coalitionplus.org ou J. Sébastien Meyer Guignard, président de Stop Sida à president@stopsida.org

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