Les services de soutien aux hommes gays, aux personnes non-binaires et aux femmes trans qui utilisent des stimulants en contexte sexuel ont été mis à rude épreuve pendant les très longues périodes de confinement imposées dans la métropole québécoise.
Discussion avec Alexandre Fafard, coordonnateur du programme programme PnP/chemsex à RÉZO et Daniel-Jonathan Laroche coordonateur du projet KONTAK à ACCM, ces deux organismes faisant partie de la COCQ-SIDA, membre de Coalition PLUS. A noter que le terme chemsex, prévalent dans la francophonie, est très peu utilisé au Québec. Aussi, nous parlerons ici de PnP ou de Party N Play.
Quels sont les objectifs respectifs de vos programmes?
Daniel-Jonathan (KONTAK): À la base, quand nous intervenions avec Kontak, on faisait de l’intervention dans des sex partys. Avec l’arrivée des applications de rencontre, les contextes de consommation sexuelle des hommes gays ont changé et le programme a suivi. On est désormais beaucoup plus dans l’accompagnement et le soutien auprès des usagers sur les questions de consommation, dans une perspective de réduction des méfaits sans condition.
Alexandre (PnP/chemsex): À RÉZO, on souhaite créer des espaces d’échange ou rencontres pour les gens qui consomment du crystal ou qui PNPent, on cible autant les hommes gays que les femmes trans. On a un drop-in hebdomadaire à venir à l’automne qui sera ouvert aux personnes qui ont arrêté de consommer, à celles qui veulent arrêter et à celles qui sont en consommation active. On compte aussi offrir des ateliers qui s’adressent aux personnes en période de sobriété. Le but : recréer des cercles sociaux et une communauté pour celles et ceux qui souhaitent discuter de la dépendance au crystal meth.
Quels changements avez-vous observés suite aux nombreuses restrictions liées à la covid-19 [celles-ci ont duré près de 9 mois consécutifs à Montréal, incluant 5 mois de couvre-feu, ndlr] ?
A. (PnP/chemsex): J’ai observé une évolution des profils pendant la pandémie. Beaucoup de gens qui ne consommaient pas ont commencé à s’y mettre, beaucoup de gens qui consommaient ont fait une pause ou ont augmenté leur consommation. Les tendances se sont souvent inversées et les gens étaient de moins en moins joignables.
D.J. (KONTAK): On n’a pas encore les chiffres mais on commence à voir des effets désastreux. On voit les impacts sur les usagers de crystal qui ont augmenté leur consommation parce qu’ils n’avaient plus à se rendre au bureau et qu’ils pouvaient travailler en “redescente” de chez eux. Le déconfinement est particulièrement difficile parce qu’ils se sont embarqués dans une consommation qu’ils ne peuvent plus maintenir sans sacrifier leur vie sociale, familiale ou professionnelle. Les usagers se retrouvent isolés et ne savent plus où se tourner. Il y a très peu de moyens investis en addictologie, encore moins pour les hommes gays qui consomment dans un contexte de performance sexuelle. Les faibles ressources financières qui existent sont dirigées vers les programmes destinés à les faire arrêter.
A. (PnP/chemsex): À noter que les centres de rétablissement n’ont pas d’autre choix que d’offrir des conditions de vie très restrictives en temps de covid. Les résidents sont enfermés dans leur chambre sans accès aux espaces publics, au contact avec les autres.
Comment votre organisation a-t-elle maintenu ses services de prévention avec les chemsexeurs dans le contexte de covid-19?
D.J. (KONTAK): J’ai continué à fournir du soutien au téléphone ou sur les plateformes avec lesquelles les usagers étaient à l’aise. La livraison de matériel a continué, mais c’est sûr qu’un couvre-visage crée une barrière. On reste moins longtemps, on a moins le temps pour de l’intervention informelle qui permet d’instaurer un lien de confiance.
A. (PnP/chemsex): Voir les usagers en personne était extrêmement compliqué, à cause des règles sanitaires et des recommandations, mais surtout à cause de la honte. Faire appel à nous, c’est un aveu de promiscuité à un moment où tout le monde culpabilise publiquement les gens qui brisent les règles sanitaires. On n’est pas la police ni la santé publique, on est pas là pour faire la morale. Quand la culpabilisation individuelle est tellement présente dans le discours public, les gens l’absorbent quand même. Je crois qu’il n’y a pas de place pour la honte dans un processus de guérison.
D.J. (KONTAK): La chose la plus compliquée avec les usagers, c’est définitivement d’évoquer la gestion de leur santé sexuelle parce que tu ne veux pas qu’ils se sentent jugés de continuer à baiser. C’est devenu de plus en plus difficile d’obtenir des services en santé sexuelle. Même quand on arrive à les référer, ils sont souvent confrontés au jugement du personnel pour leur pratiques qui vont à l’encontre de la santé publique. Quand les statistiques arriveront, je ne serai pas surpris de constater une augmentation des infections au VIH et des ITSS.
Quels messages cherchez-vous à faire passer auprès des décideurs et de la santé publique?
D.J. (KONTAK): D’abord et avant tout, la décriminalisation de toutes les drogues rendrait notre travail infiniment moins difficile. On a vu constaté une augmentation des arrestations de dealers dans le village gay de Montréal, ce qui a engendré une pénurie de crystal, qui a elle-même entraîné une dégradation des produits vendus dans les réseaux PnP.
A. (PnP/chemsex): On a aussi besoin de soins et de services adaptés pour les populations de chemsexeurs à l’échelle de notre système de santé. C’est important de travailler avec ceux qui existe et de les mettre à jour. En parallèle, il faut créer des espaces et des services spécialisés.
D.J. (KONTAK): Il y a un besoin criant de centres de réadaptation pour hommes gays qui consomment des drogues. Des centres où il y aurait plusieurs niveaux d’intervention répondant à plusieurs besoins. On n’a que quelques projets subventionnés éparpillés sur le territoire qui ne sont pas à la hauteur de la demande.
A. (PnP/chemsex): Je pense aussi que les communautés GBTQ+ sont prêtes pour une conversation plus large sur la honte et comment elle nous enlève notre pouvoir d’agir. Elle est tellement imbriquée en nous qu’on ne la reconnaît même plus, elle devient normale. C'est cela qui nous empêche d’avoir des conversations ouvertes sur la consommation de crystal meth en contexte sexuel qui est pourtant très répandue. Quand on arrête d’avoir honte, on reconnecte avec notre communauté.
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