La plateforme Europe de Coalition PLUS se mobilise pour les usagers-ères de drogue

La Plateforme Europe de Coalition PLUS, pilotée par AIDES en France et regroupant GAT au Portugal, ARAS en Roumanie, le Groupe Sida Genève en Suisse et 100% Life en Ukraine, se mobilise pour les usagers-ères de drogues. C’est un axe prioritaire de son plaidoyer. Décryptage de ces enjeux à l’occasion de Support Don’t Punish, journée d’action qui se tient chaque année le 26 juin pour exiger une réforme profonde des politiques des drogues privilégiant le respect des droits fondamentaux et l’accès à la santé.

Le modèle portugais comme approche phare en Europe

Le Portugal a dépénalisé l’usage de toutes les drogues en 2001, c’est ce qui fait sa singularité. Dans ce pays méridional de l’Union européenne, on ne devient pas criminel parce qu’on consomme et cela facilite l’accès aux outils de réduction des risques, comparativement à des pays comme la France ou la Roumanie où la pénalisation se fait de plus en plus lourde et pousse les usagers-ères de drogues à se cacher pour consommer.

En outre, le programme portugais d’échange de seringues a contribué à faire chuter drastiquement les transmissions du VIH et de l’hépatite C (VHC) chez les usagers-ères de drogue. En 2016, seulement 1,5% des infections au VIH étaient attribuées à l’usage de drogue injectables (OMS, 2018). Ce qui démontre l’efficacité de ce type de programme en termes de santé publique.  

Combattre la criminalisation des usager·ères, frein principale à la réduction des risques mise en place par nos associations.

En France, en Ukraine et en Roumanie, les associations membres de Coalition PLUS, AIDES, 100% Life et ARAS, gèrent chacune un programme d’échange de seringues. La forte criminalisation de la consommation empêche cependant ces programmes d’avoir le même impact qu’au Portugal. « Ces lois isolent les usagers et les éloignent de nous, explique le coordinateur de la Plateforme Europe de Coalition PLUS. On peut leur donner des seringues, du matériel, mais les usagers-ères·se sentent chassés-es et pourchassés-es, et deviennent plus difficile d’accès. Ces lois empêchent un déploiement des politiques de réduction des risques. »

En Roumanie, l’usage de drogue n’est pas pénalisé, c’est la possession qui l’est. Peu importe la quantité, c’est la substance qui compte : si elle est listée comme illégale, une personne qui en possède peut être criminalisée. La consommation a été dépénalisée il y a trois ans, mais la légalisation des salles de consommation sécuritaire n’est toujours pas gagnée. ARAS y coordonne le principal programme d’échange de seringues depuis maintenant 15 ans et lutte pour maintenir son financement au fil des ans, malgré le fait que son efficacité n’est plus à prouver. « Il n’y a généralement pas d’intérêt pour les usagers et les usagères de drogues ici en Roumanie, décrit Nicoleta Dascalu, chargée de projet à ARAS. L’agence nationale contre la drogue appartient au Ministère de l’Intérieur, sa mission est de réduire  l’usage et  l’offre de drogue par la répression sans offrir de services aux usager·ères. »

En France, depuis septembre 2020, toute personne qui se fait prendre par la police en possession de drogue, quelque soit la quantité, se retrouve avec une amende de 200 euros. Cette mesure punitive s’inscrit dans le modèle français hérité de la Loi Mazeaud de 1970 qui a  instauré un double système de mesure coercitive contre l’usage de drogue : une réponse soit pénale répressive, soit médicale sanitaire. « Les usagers-ères sont considérés-es comme délinquants-es ou malades depuis plus de 50 ans, commente Stéphan Vernhes, coordinateur de la Plateforme Europe. Et les statistiques le montrent, cette approche ne fonctionne pas : plus on interdit, plus on consomme en France. »

L’Ukraine ne fait pas exception non plus quant à la criminalisation des usagers-ères de drogue: l’article 309 du code criminel en remet aux Ministère de la Santé de déterminer quelles substances en quelle quantité représentent « un crime contre la santé publique. » Le Ministère de la Santé ukrainien définit même de petites quantités de drogues comme un problème de santé publique, entraînant des charges criminelles. «Les personnes utilisatrices de drogues sont criminalisées et ne peuvent ni être acquittées, ni être libérées sous caution, dénonce Oleg Dymaretsky, directeur de la All-Ukrainian Association of People with Drug Addiction (VOLNA). En plus, on ne leur fournit aucun service de réduction des méfaits ou de réhabilitation en prison»

« Le maintien du service d’échanges de seringues et l’ouverture de salles de consommation réglerait beaucoup de choses ici », affirme Nicoleta, chargée de projet à ARAS. « La décriminalisation est une priorité pour le milieu communautaire ukrainien » ajoute Oleg. « Le modèle portugais demeure celui qui répond le mieux à nos revendications », complète Stéphan Vernhes.

« Des législations favorables ne suffisent pas, il faut également de la volonté politique »

Cependant,  le  « modèle portugais » a lui aussi ses lacunes et mérite d’être encore renforcé.  Ouvrir des salles de consommation assistée reste un long et fastidieux processus bien que la loi portugaise le permette depuis la décriminalisation en 2001. La nécessité d’avoir le feu vert des municipalités ralentit leur ouverture au point que GAT et Médecins du monde n’ont obtenu de la mairie de Lisbonne l’ouverture que d’un seul centre, il y a un an et demie. Ricardo Fernandes précise qu’il ne s’agit même pas d’une salle mais d’une fourgonnette. « Des législations favorables ne suffisent pas. Il faut également de la volonté politique », martèle le directeur exécutif de GAT.

Le manque le plus criant au Portugal en matière de soutien aux usagers-ères de drogues, selon Ricardo Fernandes, est le principe du « one stop shop », c'est-à-dire un endroit où les personnes peuvent trouver tout ce dont elles ont besoin. En l’absence de services concertés, il n’existe pas de lieux qui centralisent soutien psychologique et social, services  médicaux et matériel de consommation en accès libre et gratuit. Ces services sont rarement combinés comme ils le sont en France dans les CAARUD, les Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue, ou dans les SPOT, centre de santé sexuelle de AIDES.

Les stratégies de la Plateforme Europe

Pour défendre les droits des usagers-ères de drogue, la Plateforme Europe développe un plaidoyer commun aux associations membres et cherche à faire pression sur la présidence de l’Union pour que les enjeux liés aux droits des consommateurs soient priorisés dans l’agenda européen.

« Nous nous sommes saisis de la présidence portugaise de l’Union européenne au premier semestre 2021, mais la covid-19 a bouleversé nos plans, précise Stéphan Vernhes. La présidence portugaise a été très accaparée par l’urgence sanitaire ». Mais le plaidoyer européen reste d’actualité. « On peut promouvoir au sein de l’Europe un modèle portugais corrigé au-delà de leur présidence, confirme Ricardo Fernandes. Je crois même que le Portugal sera plus disponible pour nous appuyer après sa présidence. »

Pour le directeur de GAT, ce ne sont pas les arguments qui manquent. Les approches punitives sont faciles à démystifier. « Les histoires d’horreurs surviennent majoritairement parce que les produits consommés par les usager·ères sont très altérés. Si on dépénalise la possession, on peut reprendre le contrôle sur la qualité des produits », explique Ricardo.

Ricardo Fernandes n’hésite pas non plus à amener de l’avant des arguments économiques et de santé publique : les statistiques portugaises démontrent l’efficacité du modèle autant en termes de réduction des transmissions que des coûts qui n’ont pas explosé comparativement aux dépenses que les autres Etats européens engagent dans la répression. En outre, nous disposons de potentiels alliés dans le reste de l’Europe tels que la  Suisse, où la politique de réduction des risques pour les consommateurs-rices d’héroïne est exemplaire bien que limitée à cette drogue, ou encore la République Tchèque et la Lituanie qui développent des politiques de soutien aux usagers-ères de drogues. « La Norvège, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Slovaquie ont eux aussi des programmes pertinents, mais qui ne sont pas anti-discrimination ceci dit », nuance le directeur de GAT.

L’expérience portugaise nous enseigne que des lois favorables à la réduction des risques ne suffisent pas pour avoir un réel impact épidémiologique. Il faut aussi de la volonté politique pour financer les services appropriés. La Plateforme Europe compte agir sur ces deux fronts auprès de l’Union européenne en construisant un argumentaire scientifiquement étayé et en mobilisant les Etats membres alliés.

Propos recueillis par Charlie Morin

Journée Support Don't Punish

Venez assister au webinaire sur les enjeux de réduction des risques et dépénalisation à l'échelle européenne, organisé par AIDES et animé par la Plateforme Europe, le 24 juin à 17h GMT (19 heure de Paris).

Pour vous inscrire, contactez Stéphan Vernhes, svernhes@aides.org

La plateforme Europe s’agrandit en accueillant de nouveaux membres : 100% Life en Ukraine et Exaquoe en Belgique!

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