Cinq ans de mobilisation communautaire contre l’hépatite C : résultats et perspectives

Les antiviraux à action directe ou ADD ont depuis 2014 révolutionné la prise en charge de l’hépatite C : ils permettent une guérison chez plus de 90 % des patients quel que soit le statut VIH (co-infection ou pas). Mais ces traitements, en raison de leurs coûts extrêmement élevés, restent largement inaccessibles dans de nombreux pays. De même, l’accès au dépistage et au diagnostic reste fortement limité.

Dans ce contexte, Coalition PLUS pilote depuis 2015 avec le soutien d’Unitaid un projet de plaidoyer pour faciliter l’accès aux traitements de l’hépatite C dans 7 pays à revenu intermédiaire :  Maroc, Brésil, Inde, Malaisie, Colombie, Indonésie (jusqu’en 2018)  et Thaïlande (jusqu’en 2018) . Avec l’implication de ses partenaires, Coalition PLUS a obtenu d’importantes avancées et renforcé la riposte communautaire.  Alors que le financement par Unitaid du projet prend fin cette année, un partage d’expériences est organisé en visioconférence les 8 et 9 avril (13h00-15h30 GMT). Retour sur ces 5 ans de mobilisation contre l’hépatite C avec l’équipe du pôle Partenariats/Hépatites sous la direction d’Estelle Tiphonnet.

Quelles sont les plus importantes victoires obtenues en 5 ans de lutte ?

A travers ce projet et le travail des partenaires sur le terrain, nous avons mis en avant l’importance de la mobilisation communautaire dans les contextes de lutte contre les hépatites virales. Si au début du projet le manque de sensibilisation aux enjeux relatifs à l’hépatite C a été la composante la plus importante du projet, le renforcement des connaissances concernant l’hépatite C a permis aux partenaires de s’engager de plus en plus dans la riposte communautaire et d’affirmer à l’échelle nationale et internationale, la pertinence de cette démarche pour atteindre et mobiliser les personnes concernées. Si on veut mentionner quelques réussites spécifiques du projet, on doit absolument souligner les suivantes:

  • Obtention d’une licence d’utilisation gouvernementale pour le Sofosbuvir en Malaisie (2017)

  • Inclusion de l’ALCS dans le comité de pilotage du gouvernement chargé de rédiger les lignes directrices du plan national contre les hépatites au Maroc (2018).

  • Adoption par le gouvernement des lignes directrices pour le diagnostic et la prise en charge du VHC élaborées par CoNE, partenaire et leader communautaire à Manipur, et considérées comme stratégiques pour la mise en oeuvre du programme d’élimination des hépatites de l’Etat Indien (2019).

  • Création d’un front parlementaire multipartite de lutte contre les hépatites, le VIH et les infections sexuellement transmissibles au Brésil (2019), visant à influencer le débat parlementaire et à légiférer sur ces sujets.

  • Inclusion de la Colombie dans la liste de pays participant à l'approvisionnement groupé des antiviraux à action directe mise en place par le bureau régional de l’OMS (PAHO).

  • Lancement des premiers plans nationaux sur le VHC en Malaisie, Thaïlande et en Inde et élargissement du programme indonésien.

  • Augmentation du budget dédié au VHC en Indonésie et en Malaisie, permettant l'achat d’AAD.

Avant même de parler d’accès aux traitements, l’information, la sensibilisation et le dépistage auprès des communautés concernées font défaut. Quels ont été les principaux leviers que vous avez activés pour faire comprendre l’importance de la prévention et du dépistage auprès des décideurs ?

La première étape a été de sensibiliser les communautés les plus affectées par l’hépatite C sur la maladie elle-même mais aussi sur la prévention, le parcours de diagnostic et l’existence d’un nouveau traitement (c.a.d les AAD). Ensuite des stratégies différentes ont été utilisées dans les pays afin de sensibiliser les autorités. En Indonésie et au Maroc, des arguments économiques ont été utilisés à travers le développement d’études d’investissements soulignant les conséquences financières et en termes d'incidence et de décès, de l'inaction du gouvernement dans la lutte contre le VHC. En Inde, les résultats des campagnes de dépistage communautaire ont servi à montrer au gouvernement les conséquences de l'épidémie sur le territoire (Delhi et Manipur). Des consultations avec certains gouvernements en Amérique du Sud ont été organisées par Coalition PLUS, autour des enjeux de la propriété intellectuelle sur les AAD. En Colombie, en particulier, les stratégies d'achat groupé ont fait avancer la discussion.

L'année 2017 a été fondamentale dans l'avancement de l'accès au diagnostic et au traitement du VHC alors que le paysage du VHC a considérablement changé. Davantage d'intervenants ont été impliqués, de nouveaux médicaments AAD sont devenus disponibles et recommandés, et les gouvernements du monde ont commencé à mettre en œuvre la première stratégie mondiale contre l'hépatite virale, qui couvre les années 2016-2021.

Comme le montre l'étude Mind the Gap publiée en 2018 par Coalition PLUS, dans certains pays où le gouvernement avait lancé des programmes VHC sans l'implication des communautés, l'impact de ces programmes a été limité. L'étude souligne également que pour réussir, les programmes doivent viser l'élimination dans les groupes à plus forte incidence.

Même parmi les professionnels-les de la santé, les connaissances et la formation sont souvent insuffisantes dans certains pays où le projet a été mené. Quelles ont été vos stratégies pour améliorer le continuum de services offerts aux personnes vivant avec l’hépatite C dans les pays ciblés ?

A la suite de l’étude Mind the Gap initiée par Coalition PLUS nous avons constaté que le personnel de santé n’était pas équipé pour faire face aux besoins des communautés. C’est pourquoi dans plusieurs pays du projet, des formations ont été élaborées par les partenaires, en collaboration avec les ministères de la Santé afin d’assurer un accueil adapté aux personnes concernées. En outre, le plaidoyer des partenaires s’est concentré à partir de 2019 sur la décentralisation de la prise en charge vers des structures plus proches des populations clés comme les services de santé primaire et les centres communautaires, ainsi que sur la simplification du parcours de soins. L’accompagnement des patients par les pairs-es éducateurs-rices a aussi permis de réduire le nombre de personnes perdues de vue.

Le prix des antiviraux à action directe est une barrière importante dans plusieurs pays. Quelles actions avez-vous menées pour faire baisser les prix et où avez-vous obtenu les meilleurs gains ?

Dans les pays les plus concernés par la question des prix du traitement, la stratégie a été initialement partout pareille et nous avons visé l’utilisation des flexibilités prévues dans l'Accord sur les ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce). En Malaisie, le travail des partenaires, en collaboration avec le gouvernement, a mené à l’émission d’une licence d’utilisation gouvernementale pour le Sofosbuvir. A la suite de quoi, le laboratoire Gilead a décidé d’élargir la licence volontaire sur ce médicament à un certain nombre de pays à revenu intermédiaire, probablement afin d’éviter d’autres licences obligatoires. La Thaïlande a aussi bénéficié de cette licence volontaire pour le Sofosbuvir. La baisse significative du prix de ce médicament a permis un accès élargi au traitement, même s’il reste encore des pays qui n’en bénéficient pas.

En Colombie, le processus pour l’obtention d’une licence obligatoire visant à pouvoir fabriquer ou importer des AADs génériques moins coûteux est en cours depuis novembre 2015. La bataille légale entre le gouvernement et la société civile perdure. En parallèle, la Colombie a été incluse dans le système d’approvisionnement du traitement de l’OMS au niveau régional (PAHO) et cela a permis une importante réduction du prix des médicaments.

Au Brésil, l'opposition aux brevets et les pressions de la société civile pour la licence obligatoire sur le sofosbuvir ont incité le gouvernement à négocier des prix plus abordables, qui ont baissé de plus de la moitié par rapport au début du projet, mais qui restent encore élevés. Profitant d'une situation où les gouvernements sont pressés de sécuriser l'accès aux technologies de santé liées à la COVID-19, le partenaire brésilien a intensifié ses efforts de plaidoyer en faveur de l'introduction de licences obligatoires pour les AAD.

Comment la lutte contre l’hépatite C va-t-elle perdurer au sein de Coalition PLUS ?

La lutte contre les hépatites virales fait déjà partie du mandat de plusieurs membres et partenaires et est intégrée en partie dans nos projets. Mais la mobilisation des membres de Coalition PLUS devrait essentiellement porter sur le soutien à la mobilisation communautaire des personnes touchées par les hépatites virales, et appuyer cette mobilisation, comme on l’a fait sur le VIH. Les besoins existent dans tous les pays de notre Union. Il s’agit de prendre en compte les hépatites virale à travers de l’approche globale des besoins des bénéficiaires de nos structures. Nous avons désormais, à travers ce projet et l'expérience de certains de nos membres, des éléments et outils à partager. C’est notamment la raison pour laquelle le travail de capitalisation et de dissémination de ce projet revêt un aspect fondamental.

Pôle Hépatite C : Maria Donatelli, Hélène Boscardin, Jean-Luc EL Kaim, Valentina Lombardo, Chase Perfect sous la direction d’Estelle Tiphonnet.

Propos recueillis par Charlie Morin

Pour en savoir plus sur les 5 années de mobilisation communautaire contre les hépatites virales, le pôle Partenariat/hépatite vous invite à leur atelier de dissémination les 8 et 9 avril prochain à 15h-16h30 heure de Paris / 14h-15h30 heure de Yaoundé / 13h-14h30 heure de Dakar

En plus de partager plus en détails comment l’approche communautaire et la mobilisation de la société civile ont permis des avancées importantes, l’atelier aura des moments de travail en ateliers, pour avancer sur la question en fonction de thématiques et des contextes de chacun.

En partenariat avec le pôle Capitalisation, un guide de bonnes pratiques sera présenté pour mettre en valeur les succès du projet et fournir des pistes d’actions

Tous les membres et partenaires de Coalition PLUS ainsi que les collègues du secrétariat sont invités afin que les hépatites soient une thématique propre dans tout Coalition PLUS.

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